Dans mes deux ans en arts plastiques au cégep, si j’ai retenu une chose c’est à quel point je déteste la “vision de l’art” de mes profs. Un élève aurait pu faire une peinture parfaitement photo-réaliste d’un paysage grandiose avec un niveau de détail pratiquement impossible à réaliser, et tout ce que les profs auraient trouvés à dire, c’est quelque chose comme “Pas très original. Bonne technique, mais ça déjà été fait. C’est pas vraiment de l’art”. Le dégoût dans mon regard passait à la terreur quand ils se tournaient ensuite vers une trace de bouette sur une toile pour s’exclamer d’émerveillement…
Pour être honnête, tout au long de mes cours j’ai appris davantage sur comment parler de son oeuvre (plutôt bullshiter) que sur comment la créer. Tous les travaux évalués devaient être remis avec un beau p'tit texte expliquant la “démarche artistique” et les “caractéristiques iconographiques et formelles” de l’oeuvre. Un travail sans une grosse signification symbolique sur quelque chose avait habituellement une note de marde. Comme si pour toute la clique des artistes, la technique c’est rien et la bullshit- signification (oups!) c’est tout ce qui importe.
Il faut dire que comme je suis apprenti tatoueur, je prends tout ça assez personnel. Je sais que certains profs diraient que le tatouage n’est un art que s’il possède une signification profonde, un concept élaboré et une symbolique hyper présente, choses que j’ai toujours trouvées un tantinet ridicules quand je pense que c’est précisément ce qui à causé des milliers de gens à un jour mouiller d'admiration devant un fucking carré noir sur une toile blanche (Oeuvre de Kasimir Malevitch qui vaut plus ou moins un million de dollars), ou encore à vibrer d’excitation devant un simple bol de toilette d’une valeur de 3,5 millions de dollars (La fontaine de Marcel Duchamp)… Et malgré que je me fiche un peu de leur opinion, pour moi la notion d’art est très importante, parce qu’elle représente non seulement le style de vie que je désire vivre, mais aussi le gagne-pain qui va potentiellement assurer mon avenir. C’est le genre de domaine qui ne comporte aucune limite de temps à investir, car plus on y consacre de temps, plus on s’accomplit. Le dévouement envers son travail, envers l’art, devient donc un critère impératif. C’est de se lever le matin en se disant qu’on a vraiment, mais vraiment hâte de travailler, tellement qu’on pourrait pratiquement ne rien faire d’autre de sa journée et ça serait parfait comme ça. Alors quand je pense que certains vont dire que c’est même pas de l’art, je trouve ça décevant.
Qu'est-ce que l'art?
Penser à tout ça m’a poussé à me poser la question. Qu’est-ce que l’art, vraiment? Je peux vous dire que j’ai dû débattre de cette question au moins une bonne dizaine d’heures avec différentes personnes (principalement au bar le trou du diable en buvant de la bière), et que chaque personne possède sa petite idée bien à elle. Certains m’ont dit que c’est tout ce qui est fait avec passion, certains que c’est tout ce qui est beau. Un bon ami à moi m’a même dit que l’art c’est tout ce que l’humain fait, autrement dit qu’une poignée de porte, on peut appeler ça une oeuvre d’art. (Sérieux? Voyons donc!)
Au final, est-ce que l’art ça serait tout ce qui est fait avec passion, désir de créer, ou même l’intention de garrocher quelque chose dans un musée? Peut-être bien. Mais qu’est-ce que le dessin, la danse, la peinture, le cinéma, les jeux vidéos (parfois), la musique, l’architecture et la littérature ont en commun?
-Chacune de ces choses est faite dans le but principal d’émerveiller par l’esthétisme. Donc selon moi, l’art est tout ce qui est fait dans le but principal de créer une réaction émotionnelle (Émerveillement, dégoût, étonnement, etc) chez le spectateur. Une poignée de porte, c’est purement pratique, alors c’est pas de l’art. Mais si celui qui a conçu la poignée de porte a actuellement mis une bonne partie de son temps à faire en sorte que la poignée de porte est vraiment fucking grandiose à regarder, alors s’en est, parce qu’elle répond à ce critère.
Donc tant que le but principal est l’intention de créer une réaction, c’est de l’art. Mais attention! Si le but devient de nature secondaire, il perd immédiatement tout son sens. Dans le cas contraire, on pourrait carrément dire qu’une pute est une artiste. Et si un jour je rencontre une prostituée qui dit réellement faire son boulot parce qu'elle veut faire vivre une expérience émotionnelle à ses clients et qu'elle aurait quand-même envie de le faire même si elle n'était pas payée, je vais tout-de-suite retirer ce que j’ai dit et affirmer haut et fort (et avec un goût amer dans la bouche) qu’elle est bel et bien une artiste. Et en plus d'empêcher les filles de joie de faire de l’art, l'intention artistique délimite également la frontière entre “faire de l’art” et “être un artiste”. Parce que non, selon moi faire de l’art sur une base régulière, ça ne veut pas dire être artiste. Avoir fait une coupe champignon à ton petit cousin de 9 ans, c’est insuffisant pour dire que t'es une coiffeuse. Sorry!
De plus, à partir du moment où l’intention d’épater la galerie perd de l’importance, l’artiste perd son statut. Par exemple, un chef cuisinier qui veut créer une expérience sensorielle pour ses clients, c’est un artiste, alors qu’un mec qui flip des burgers pour payer son loyer et s’acheter des gratteux aux dépanneurs, non. Et même si le chef cuisinier fait ses recettes dans le but de faire de l’argent, le besoin passionné de marquer les gens est bien là, et c’est tout ce qui compte. En suivant la même logique, un tatoueur qui veut créer un style bien à lui et se dépasser pour laisser sa marque sur le monde, c'est un artiste, alors qu'un tatoueur qui se contente de copier des tatouages déjà dessinés par quelqu'un d'autre, non.
Art vs business
Pour tous les artistes qui font de l'argent avec leur art, la relation entre art et business fait que ça devient plus complexe. Si je traite mon art uniquement comme de la business, j’arrête d’être un artiste, devenant rien de plus qu'un travailleur offrant un service. Mais si je ne traite pas mon art comme une business, alors je n’aurai plus de clients et ne pourrai plus faire d’art.
Alors qu'est-ce qu'on fait? On marche sur la fine ligne qui sépare les deux, et on se contente de continuer son chemin sans trop y penser.
Ce qui visiblement marche extrêmement bien quand on pense que je viens d’écrire 1000+ mots sur le sujet.
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